Luther « le Chérusque », héros fondateur de l’imaginaire national germanique
La traduction en allemand de la Bible, commencée par Luther à la Wartburg, constitue l’acte inaugural de l’émergence d’un imaginaire national germanique ; elle s’inscrit dans le prolongement de la redécouverte des manuscrits de Tacite et de la constitution du mythe d’Arminius, le Chérusque vainqueur des légions de Varus en 9 après J.-C. Luther s’est lui-même identifié au héros fondateur de peuple : « Ita nunc Luther Cheruskus, eyn Hartzlander, Romam devastat », établissant ainsi une continuité qui fonctionne comme principe d’intelligibilité de l’histoire allemande, de la Rome des Césars à la Rome des papes, de la Germanie antique au Saint-Empire.
Valorisation de la langue vernaculaire, exaltation de la liberté du chrétien, détachée de toute visée politique et sociale, la Réforme pose les fondements de la conception ethnoculturelle de la nation, élaborée par les Lumières allemandes : elle met l’accent sur les notions de Kultur (vs Zivilisation), d’intériorité (Innerlichkeit) et de caractère national (Nationalcharakter) incarné dans la langue maternelle. Les guerres napoléoniennes réactivent le schéma identitaire fondé sur l’antagonisme Germains/Latins élaboré à l’époque de la Réforme.