L’Ami de la Jeunesse et des Familles : un exemple de périodique destiné à la jeunesse au XIXe siècle et au début du XXe siècle. (2/2)
Adresses et rédaction
C’est également à partir de 1855 qu’on remarque la mention plus systématique des contributeurs et de l’équipe de rédaction de la revue, avec notamment l’apparition de la mention « publié par les rédacteurs de l’Almanach des bons conseils », ainsi que la mention du directeur de la rédaction.
On peut remarquer que l’adresse d’abonnement et celle de la rédaction sont souvent séparées. Ainsi, en 1855, on s’abonne en envoyant un mandat de la poste au bureau du journal, au 47, rue de Clichy – et ce jusqu’en 1886 – tandis que pour la rédaction, c’est au rédacteur en chef M. I. Armand-Delille qu’il faut s’adresser. De même, en 1856, tout ce qui concerne la rédaction doit être envoyé à l’adresse personnelle de M. Vulliet, au 34 rue de Montparnasse, tandis que les paiements pour les abonnements doivent être envoyés « à l’ordre de M. Edmond de Hault de Pressensé, rue de Clichy, 54 », pour un montant annuel de 3 francs. En 1887, c’est Dorina (Mme W.) Monod qui est la rédactrice en chef de la revue, rue de la Paix à Vincennes : cette femme de lettre et épouse du pasteur Wilfred Monod a contribué à plusieurs périodiques destinés à la jeunesse (L’Ami de l’Enfance), aux femmes et aux familles (La Femme, Le Journal de la jeune mère, Le Journal de la jeune fille, Foi et vie)[xiii].Cette année-là, le pasteur Antoine-Frédéric Arbousse-Bastide en est le gérant administrateur. L’année suivante, c’est le docteur Louis Appia qui dirigera la revue.
En 1898, L’Ami de la Jeunesse et des Familles n’appartient désormais plus à la Société des Traités Religieux de Paris, et il faut désormais s’abonner au pasteur Alexandre Bonzon, 50 rue de la tour d’Auvergne, Paris, qui réunit les fonctions de direction, administration et d’abonnement, puis. En 1901, l’abonnement annuel se fait au prix de 5 francs, les numéros partant de novembre. En 1904, le pasteur A. Bonzon s’occupe de la rédaction, des abonnements, et des annonces, mais cette fois à Pau, au 7 rue Saint-Jacques. En 1905, c’est désormais la Société des publications morales religieuses, à Toulouse, qui fait paraître la revue, grâce à l’imprimeur A. Coueslant, à Cahors, avec le pasteur Edmond Lengereau[xiv] en charge de la direction, de l’administration et des abonnements, au 6 rue Darquier. Alexandre Bonzon reste en charge de la rédaction.
C’est aussi dans les toutes dernières années du XIXe siècle que les annonces de recherches de placements d’institutrices, d’étudiants étrangers recherchant des élèves deviennent plus fréquentes. On promeut également une méthode nouvelle pour apprendre les langues, un pensionnat protestant pour jeunes filles, ou encore des périodiques liés, comme l’Almanach des bons conseils, la société des écoles du dimanche.
La place de l’image dans un contexte d’évolution technique
Le format in-4 permet une plus grande liberté de publication. Il permet notamment de donner une plus grande visibilité à l’image. Les gravures sont plus nombreuses, et leurs formats varient, de la petite vignette à l’illustration hors-texte occupant parfois une page entière, voire deux pages, présentant figures honorables, scènes historiques ou fictives, paysages…
La première page de la revue est presque toujours illustrée, mais ce n’est qu’au XXe siècle que la revue se dotera d’une couverture un peu plus épaisse, parfois imprimée en couleurs. L’illustration, dans un périodique destiné aux jeunes, paraît nécessaire aujourd’hui, mais il ne faut pas oublier les contraintes techniques qu’elle impose si l’on veut les introduire dans un ouvrage ou un périodique. Ceci explique également pourquoi L’Ami de la jeunesse et des familles met en avant ses gravures dans son éditorial de 1855. Aussi, les illustrations sont d’abord celles de gravures sur bois, qui tolèrent la mise sous presse. Ces gravures font beaucoup dans le « pittoresque », il s’agit alors de montrer cet « ailleurs » : paysages, description des peuples étrangers, sciences… Cette illustration se trouve soit hors texte, soit s’insère dans le texte, ses contours déterminant l’article prêt à vous faire voyager. Encore une fois, les gravures se veulent réalistes, puisqu’il s’agit, en plus de d’illustrer des scènes historiques parfois reproduites, de montrer la réalité de l’ailleurs ou de proposer une vision réaliste des personnages des historiettes censés être des modèles d’imitation pour la jeunesse.
La photographie arrive assez tard dans la revue, au début du XXe siècle. Il s’agit ici de valoriser des paysages, ou de valoriser les activités de mission et des sociétés protestantes en lien avec la revue, comme ci-contre, la visite de la reine Ranavalona[xv] à l’Union chrétienne de jeunes gens de Paris. Aussi, ce sont surtout des personnes que l’on donne à voir. Cette apparition de la photographie ne signifie pas la mort de la gravure traditionnelle : toutes deux coexistent, la gravure servant alors surtout à illustrer les historiettes et anecdotes, la photographie davantage réservée aux sujets plus contemporains et concrets.
Conclusion
L’aventure de L’Ami de la Jeunesse a duré 88 ans, évoluant avec son temps, le contexte politique et social, et les techniques utilisées pour la presse, qui se transforme de manière considérable au XIXe siècle.
Quelques statistiques nous enseignent sur le succès de la revue. D’après Franck Puaux le constat en 1849 est positif : L’Ami de la jeunesse et des familles bénéficie de la notoriété de l’Almanach des Bons Conseils, qui était devenu « le plus populaire des almanachs français ». Ainsi la revue destinée à la jeunesse est passé de 1 500 abonnés à 11 000 abonnés. En 1883, le Comité de rédaction de la Société des Traités Religieux de Paris comptait environ 300 000 exemplaires de l revue « servis sous forme d’abonnements ou vendus en volumes à la fin de l’année ». En 1893, la revue avait 2100 abonnements et place 911 exemplaires de ses anciennes années, sous forme de volumes. Le nombre d’abonnés n’augmente pas l’année suivante. Il faut dire que si, lors de son lancement, L’Ami de la jeunesse « n’avait pas un seul rival protestant illustré », ce n’est plus le cas depuis le milieu du XIX siècle[xvi].
L’Ami de la jeunesse n’est cependant pas le seul périodique protestant s’adressant à la jeunesse et à la famille à se distinguer par sa longévité. Le Journal de la jeunesse, Nouveau recueil hebdomadaire illustré (1873-1919) propose une revue de qualité et abondamment illustrée pour un public principalement aisé. L’Ami chrétien des familles (1858-1891 avant de devenir après fusion L’Ami chrétien des familles, Messager de l’Église, 1892-1968) se distingue ainsi comme l’un des journaux protestants les plus en vue. Le Petit Messager des missions évangéliques (fondé en 1844) est intéressant à plus d’un titre, puisqu’il s’agit d’un mensuel issu d’un organe d’évangélisation (la Maison des missions évangéliques), mais destiné spécifiquement à la jeunesse, qui parut jusqu’en 1965. L’objectif est toujours cet enjeu moral des jeunes et des familles, en proposant des articles d’enseignement, d’édification, voire des nouvelles des missions, des conseils et des pages récréatives.
L’Ami de la jeunesse aura marqué les protestants francophones du XIXe siècle par son souci de donner à son jeune public un contenu qui se voulait édifiant, instructif et amusant. Cette longévité est due à la capacité de la revue à s’adapter au contexte politique, sans toutefois se détourner des débats du siècle. Elle est également due à une bonne gestion éditoriale et technique, en particulier par la place accordée à l’image au sein de ses pages. Enfin, la stabilité de la revue est due à l’engagement de ses contributeurs dans cette entreprise éditoriale, contributeurs qui ont su proposer un contenu de qualité et efficace pour un public jeune et familial, mais également prendre des décisions risquées qui ont finalement permis la revue de franchir le seuil du siècle.
Laëtitia Grare
[xiii] Dubois Patrick, Monod « (Mme W.) », Le dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson : répertoire biographique des auteurs, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2002. p. 109, consulté le 20/03/2020. Url : www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_2002_ant_17_1_7851
[xiv] Edmond Lengereau a été missionnaire en Nouvelle-Calédonie, avant d’accepter la charge de pasteur à Toulouse au début du XXe siècle. Voir le récit de Philadelphe Delord et Jean Bianquis, Mon voyage d’enquête en Nouvelle-Calédonie, août-septembre 1899, Paris, Société des Missions évangéliques de Paris, 1901, 241 p.
[xv] Il s’agit de la dernière reine de Madagascar, de confession protestante. Née en 1861, elle règne à partir de 1883. À la suite de l’abolition de la monarchie à Madagascar, elle finira ses jours à Alger. Pour plus d’informations, voir la biographie de Marie-France Barnier, Ranavalo, dernière reine de Madagascar, 2e éd., Paris, Balland, 1996.
[xvi] Les statistiques sont issues de Franck Puaux (dir.), Les œuvres du protestantisme français au XIXe siècle, Paris, Comité protestant, 1893, p. 313-317, consulté le 20/03/2020. Url : https://ent.inthev.fr/Z.AR/EDUC_DOCUMENTS/PUAUX_oeuvres_protestantisme_fr1893.pdf
Références
Les images sont toutes tirées de L’Ami de la jeunesse et en particulier des exemplaires conservés à la Bibliothèque du protestantisme français sous la cote PER 4° / 57. Retrouvez la notice SUDOC de la revue : http://www.sudoc.fr/039063461
Cabanel Patrick, « De l’école protestante à la laïcité. La Société pour l’encouragement de l’instruction primaire parmi les protestants de France (1829-années 1880) », Histoire de l’éducation [En ligne], 110 | 2006, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 02 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/1346
Dubois Patrick, «Monod « (Mme W.) » », Le dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson : répertoire biographique des auteurs, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2002. p. 109. www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_2002_ant_17_1_7851
Labes Lauriane, « Le Centre Bermond-Boquié : centre de recherche et d’information sur l’édition francophone pour la jeunesse », Strenæ, en ligne, 3 | 2012, mis en ligne le 21 janvier 2012, consulté le 19 mars 2020 : http://journals.openedition.org/strenae/598 ; DOI : https://doi.org/10.4000/strenae.59
Le comité de rédaction, « Circulaire aux abonnés », L’Ami de la Jeunesse et des Familles, datée du 1er décembre 1855
Minne Samuel, « Le Journal de la jeunesse, année 1878 – Hachette », L’Amicale des Amateurs de Nids à Poussière, le 20/01/2017, en ligne, consulté le 23/03/2020. Url : https://adanap.redux.online/le-journal-de-la-jeunesse-annee-1878-hachette/
Puaux Franck (dir.), Les œuvres du protestantisme français au XIXe siècle, Paris, Comité protestant, 1893, p. 313-317 : https://ent.inthev.fr/Z.AR/EDUC_DOCUMENTS/PUAUX_oeuvres_protestantisme_fr1893.pdf
Thirion Christine, « La Presse pour les jeunes de 1815 à 1848 ». Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1972, n° 3, p. 111-132, consulté le 20/03/2020. Url : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1972-03-0111-002
Zorn Jean-François, « La mission sous presse. Journaux et revues des missions protestantes francophones », Histoire et missions chrétiennes, 2007/3 (n°3), pages 163 à 171, consulté le 20/03/2020. Url : https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses1-2007-3-page-163.htm
Sur le site du Musée Protestant :
« La presse protestante au XIXe siècle », consulté le 20/03/2020. Url : https://www.museeprotestant.org/notice/la-presse-protestante-au-xixe-siecle/#les-revues-thematiques-et-dedification
Harismendy Patrick, « Panorama de la presse protestante au XIXe siècle », consulté le 20/03/2020. Url : https://www.museeprotestant.org/notice/la-presse-protestante/
« Les protestants et l’enseignement public », consulté le 02/04/2020. Url : https://www.museeprotestant.org/notice/les-protestants-et-lenseignement-public/
« L’enseignement protestant », d’après VINARD Jean-Claude, Les écoles primaires protestantes en France de 1815 à 1885, Montpellier, 2000. Consulté le 02/04/2020. Url : https://www.museeprotestant.org/notice/lenseignement-protestant/