Un « moment protestant » de l’Institut de France : le concours sur la Réformation de 1802
Le 5 avril 1802, trois jours avant la signature du Concordat, la Classe des sciences morales et politiques de l’Institut national met au concours la question : « Quelle a été l’influence de la Réformation de Luther sur la situation politique des différents états de l’Europe et le progrès des Lumières ? » Le choix de ce sujet est une contestation ouverte de la politique religieuse du Premier consul. Sur sept candidats, six ont fait l’éloge de la Réforme. Bonaparte, qui a déjà épuré le Tribunat des idéologues qui y siégeaient, procède en janvier 1803 à une réforme de l’Institut qui supprime la Classe des sciences morales. C’est la classe nouvellement créée d’histoire et de littérature ancienne qui choisit le lauréat et remet le prix. Le vainqueur est Charles de Villers, un émigré vivant à Göttingen, proche de Benjamin Constant et de Germaine de Staël. Peu apprécié pour ses travaux sur Kant, dans lesquels il attaquait le matérialisme et le sensualisme, il retrouve la faveur de l’Institut avec son Essai sur l’esprit et sur l’influence de la réformation de Luther, ouvrage très anticatholique qui conclut à la supériorité politique et économique des nations protestantes. Prenant le contrepied du Génie du Christianisme, le livre de Villers connait un grand succès en Allemagne et en Angleterre et provoque un vif débat en France, vite étouffé par la censure impériale. Cependant la controverse théologico-politique, initiée par le concours de l’an X et le texte de Villers, se développe pendant tout le xixe siècle et au-delà. On en trouve l’écho chez Edgar Quinet, chez Max Weber et plus récemment chez Alain Peyrefitte.